Jean-René Bernaudeau
« Nous sommes impatients de démarrer la saison, qu’elle soit belle avec l’art et la manière... »
Nous avons eu la chance de vivre deux jours sur la première course à étapes de la saison, au plus près des coureurs et du staff de l’équipe TotalEnergies. Forcément, après ces deux folles journées de courses, nous avons envie de vous raconter tout cela un peu plus avec notre cœur qu’avec notre plume. Parce que 48 heures avec Thomas, Sylvain, Bryan et les autres, ça laisse les yeux pleins d’étoiles. De Bessèges, bien sûr.
Evidemment, quand les plans fonctionnent, tout le monde a le sourire. A l’hôtel de l’équipe, jeudi matin, les mines sont réjouies. Les journaux régionaux et nationaux relatent l’étape de la veille (Bellegarde-Beaucaire), où le team TotalEnergies a marqué les esprits : une course contrôlée, une organisation aux petits oignons sur le final, et une première victoire pour Bryan Coquard dès sa première sortie de la saison. L’ambiance du petit déjeuner est détendue, les vannes fusent, et devant l’hôtel, les mécanos ont le sourire. Chacun part tranquillement vers le départ de l’étape numéro 2 – qui sera donné à 500 mètres de là.
Ce qui frappe, c’est la complicité. Les gars sont prêts, les rôles sont définis. Lors du briefing de Dominique Arnould et Jimmy Engoulvent, la concentration règne, le dialogue est constructif, les conseils des capitaines de route sont écoutés. Pour l’équipe l’objectif est simple : bosser tous ensemble pour obtenir un scénario favorable. Chacun son rôle, sa mission pour le collectif. Ils sont soudés et cela se sent.
L’histoire de cette deuxième étape entre Nîmes et Méjannes-Le Clap, elle fait partie de celles qui soudent encore un groupe : une échappée dès le kilomètre trois, dont le dernier coureur sera repris à 3 mètres de l’arrivée par Bryan. Entretemps, tout le boulot de chacun : Perrig et Antoine qui mangent du vent pendant deux heures, puis Thomas, puis Julien, puis Sylvain, Angelo et Adrien, wagons successifs d’un train au dévouement exemplaire. Bryan met au fond mais il le sait : sans les copains, rien n’aurait été possible.
Le dîner est joyeux, l’équipe et le staff s’autorisent un verre de vin. Mais une petite pression s’installe : demain, c’est Bessèges-Bessèges, l’étape la plus dure, dont l’équipe a remporté les 5 dernières éditions. Pour ceux qui seront dans la voiture numéro 1, avec Dominique Arnould, l’excitation monte.
Au départ, quelques grands noms aux cheveux blancs : Poulidor, Mangeas, Danguillaume… Jean-René serre des louches, Thomas se chauffe sur les rouleaux. Le soleil cévenol tape déjà. Au briefing, beaucoup d’incertitudes. Comment vont agir les autres équipes ? Comment digérer les 6 côtes au programme ? A quoi va ressembler cette course ? La voiture démarre, le premier col s’annonce à 900 mètres. Dominique vire, on s’accroche. C’est parti !
La course est animée, brutale, rageuse. Ça casse très tôt : ouf, Bryan et Chava sont dans le premier groupe. Thomas parle à l’oreillette, Dominique tranche : Angelo va renforcer le groupe de tête. Il y a là du costaud : Pinot, Coppel, Gallopin, Péraud… pas question de les laisser partir. L’écart se creuse, la voiture passe derrière ce groupe. Les gars s’accrochent bien. A la cinquième des six montées, on entend « M***, j’ai pété. ». C’est Bryan, il lâche la tête de course. Dans la voiture, silence tendu : c’est dommage qu’il ne soit pas parvenu à basculer, c’est sûr, mais pour un sprinter, c’est fort d’avoir mangé autant de dénivelé. Pas le temps de gamberger, il en reste deux dans le groupe de tête, c’est encore jouable.
Dominique, au volant, c’est un sage. Il conduit comme Sébastien Loeb, mais il parle sereinement aux coureurs. La voiture se porte à la hauteur des deux TotalEnergies. « Pas d’affolement les gars. Vous vous sentez comment ? ». Angelo n’est pas au mieux. On lui dit de s’accrocher. Sylvain nous fait du Sylvain : « Je suis pas mal, je vais faire le sprint ! ». Il reste 40 bornes, ça rigole dans la voiture : on trouve ça rafraîchissant. Si on se doutait…
Les cols sont enfin finis, le peloton est à 4 minutes, il reste trois tours de circuit pour un total de 20 kilomètres. Quelques-uns ont des fourmis et partent à l’aventure : ils sont repris. Ça se serre, ça se tend. Dans la voiture, c’est de plus en plus silencieux, et la Radio Course a des loupés. Un gars sort pendant 5 bornes. « On laisse faire », dit Dominique. C’est aux autres équipes de rouler, et elles le font. Chez TotalEnergies, la stratégie se décide. On est deux, pour faire un bout de train ça peut suffire. Tutu va essayer de lancer Sylvain. Qui sait, il est bien, non, Sylvain, c’est lui qui nous l’a dit ?
Flamme rouge. Plus un mot. Dominique loupe la sortie de dérivation des suiveurs. La Toyota se range sur le côté, et puis repart : on n’est pas les seuls à ne pas avoir vu les gendarmes. Et puis surtout on pense à autre chose. Les secondes durent des heures. Ça donne quoi dans ce groupe de 22 ? On est trop loin pour entendre Mangeas. Pas un mot.
La radio, d’un coup, fonctionne. « Victoire du 42 devant Gallopin. ». Une demi-seconde de silence dans la voiture, le temps de connecter les cerveaux. Le 42 ? C’est Sylvain. Explosion de joie, Dominique passe la ligne en voiture – et tant pis pour l’amende, embrassades avec les vainqueurs. Parce qu’Angelo aussi, il l’a gagnée, cette étape ! L’intensité est folle, Sylvain a la banane comme jamais. Dans ces moments-là on aime beaucoup le vélo. Beaucoup, beaucoup.
Le team se retrouve à l’hôtel après un voyage en bus calme. Les organismes sont fatigués mais les visages sont satisfaits. Chava, il fait l’unanimité, et il force l’admiration. Les gars sont heureux de l’avoir, ça se sent. Un petit verre près du bar, ça discute. Les massages vident la table, Angelo et Perrig s’attardent. On parle de plaisir de rouler, de la joie d’un groupe qui se construit, de l’envie de refaire des courses ensemble. On souligne les valeurs de l’équipe, l’enthousiasme particulier de ce début 2016, le fait que la « Bessèges-Bessèges » reste accrochée pour la sixième fois au palmarès de la bande à Bernaudeau. On est juste heureux.
Bessèges, ce n’est peut-être pas la plus prestigieuse course du calendrier, mais pour nous, c’était la première. Deux jours au cœur du team TotalEnergies, deux victoires, qui nous ont « mis les poils », comme on dit. Merci le Coq, merci Chava, merci à toute l’équipe. Vivement la suite.