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Publié le 26-02-2016

La Grande Interview de Thomas Voeckler

C’est sur une table de massage que Thomas nous a accordé une longue interview, en toute sincérité. Rencontre avec un champion qui garde les pieds sur terre et parle de son sport avec la voix d’un sage… et un certain franc parler. 

Bonjour Monsieur Voeckler. Comment va-t-il, Monsieur Voeckler ? En vrai !

Très sincèrement, ça va : il faudrait être difficile ! (rires) J’ai une équipe sympa, d’un point de vue familial tout roule, ma santé et celle de ma famille sont bonnes, la saison a bien démarré du point de vue professionnel : tous les voyants sont au vert, pourvu que ça dure !

Le fait de ne pas avoir pris de décision sur ta retraite – ou du moins de ne pas t’être officiellement prononcé – ça ne te pose pas de problème ?

J’y pense. Mais je n’ai pas de réponse. D’ailleurs, si je l’avais, je ne sais pas si je le dirais. J’ai pris beaucoup de plaisir sur mes premières courses, même dans la souffrance, c’est un peu le paradoxe du sport. Quand on a travaillé pour un partenaire, l’effort physique, même douloureux, c’est parfois jouissif.

Sur certaines courses, on t’a vu assumer un rôle très clair d’équipier. C’est quelque chose qui te plaît ?

Je l’ai toujours fait, ça ne date pas de cette année. Lorsque je ne m’estime pas à 100% de mes capacités, ou si le terrain est plus propice à quelqu’un d’autre dans l’équipe, je donne un coup de main. Je raisonnais déjà comme ça lorsque j’étais leader. Ce n’est pas parce qu’on a une notoriété ou une carrière qu’on ne doit pas savoir se mettre au service des autres. D’ailleurs, c’est donnant-donnant : quand j’en aurai besoin dans l’année, ils seront là pour moi aussi. A chaque course, je peux jouer l’équipier, le capitaine de route, les deux à la fois, ou le leader.

Dans le travail d’équipe, autour du Coq, tu es celui qui intervient entre les « bouffeurs de vent » et ceux qui sont plutôt attendus pour épauler Bryan à l’approche du final. Une place ingrate ?

Non, c’est ce qui me convient. Ça correspond à mon effort. Je ne saurais pas donner un coup de main dans les derniers kilomètres, et d’ailleurs cela serait trop dangereux pour moi. J’ai aussi des objectifs personnels pour la saison, il ne faut pas que je les compromette. Je suis plus utile avant, les coureurs que Bryan a à sa disposition pour l’emballage final ont des aptitudes pour frotter ou se placer que je n’ai pas forcément. Chacun est dans son rôle, je ne trouve pas du tout dégradant d’aller au turbin un peu plus tôt, au contraire. C’est la mentalité de l’équipe : on préfère apporter chacun notre pierre à l’édifice, notre contribution à l’effort collectif, même pour quelques kilomètres. Ça ne sert à rien de finir l’étape en se disant « M****, quelqu’un de chez nous a gagné, et je n’ai même pas filé un coup de main. »

En plus, en début de saison, je sais que j’ai encore besoin de bosser. Je n’ai plus 20 ans, je suis comme un vieux diesel, il faut me décrasser et me mettre en route ! Ces efforts-là au sein du collectif, ils me sont bien plus utiles pour la suite de la saison que de rester au chaud dans le peloton.

On l’a vu au Tour de Provence, tu as aussi des objectifs personnels !

L’équipe a pris une tournure autour du Coq, mais cela ne m’empêche pas d’avoir mes propres objectifs. Je compte bien faire parler de moi dans l’année, mais sur un terrain différent de celui de Bryan. Ce n’est pas du tout incompatible.

Si tu devais en gagner une cette année, ce serait laquelle ?

(Il réfléchit) Le championnat de France. Voilà.

Tu es décomplexé !

J’ai eu la chance d’être deux fois Champion de France, et j’ai gagné plusieurs étapes sur le Tour. Si l’on me demande aujourd’hui ce que je préfèrerais, c’est le titre de Champion de France. Ça peut paraître surprenant, par rapport à l’impact médiatique, mais si je devais choisir ce serait ça.

Ce serait un pied de nez ?

Non, je ne le vois pas comme ça. Ce serait juste une immense fierté personnelle.

Tu es particulièrement attaché à ce maillot bleu blanc rouge ?

Oui. Mon deuxième titre de Champion de France à Chantonnay en Vendée (NDLR : en juin 2010), c’est pour moi le moment le plus fort de ma carrière.

Est-ce que ça dénote chez toi une approche particulière du sport cycliste ? Une tendresse pour le vélo « local » ?

J’ai toujours été un « pro-cyclisme traditionnel ». Une course comme l’Etoile de Bessèges, ce n’est pas le tour de Dubaï, mais c’est aussi l’essence du vélo. La mondialisation est inéluctable et utile, je ne suis pas rétrograde et je sais qu’il faut que notre sport évolue, mais il ne faut pas négliger ces courses qui nous ont permis de grandir, de pouvoir vivre de ce sport.

Qu’est-ce qu’il manque à l’organisation du cyclisme en France pour redevenir un sport qui attire plus de monde ?

La présence de plus d’équipes de premier plan, plus souvent. Et peut-être apporter un peu de modernité. Il ne faut pas négliger le public fidèle depuis 30 ans, mais il faut aussi attirer un public plus jeune.

Alors c’est quoi la clé ?

Il faut que ça soit un peu plus fashion ! Le Coq, il est un peu dans cette tendance, il peut attirer du public nouveau. Et Il faudrait penser à mettre en place  plus d’animations sur les courses. Enrichir la tradition sans la dénigrer. C’est un vaste sujet.

Parlons-en, des jeunes. Dans l’équipe, avec le principe de fonctionnement de Jean-René, tu vois arriver chaque saison des nouveaux venus du Vendée U. Tu ne te sens pas trop vieux ?

Si, quand même. Il y a un fossé générationnel, il ne faut pas se le cacher. Mais je crois avoir cette capacité à m’adapter. Je ne te dirais pas qu’à table on a toujours les mêmes sujets de conversation, mais j’ai toujours l’esprit déconneur ! Et puis j’ai en mémoire mes débuts : je respectais le collectif, mais j’avais la gnak et les dents longues : donc j’aime bien les jeunes qui ont le même état d’esprit. Je suis de leur côté, l’ambition j’adore ça ! La réussite passe d’ailleurs par cette capacité à travailler et vivre ensemble, la mayonnaise doit prendre entre les jeunes et les anciens. L’important est de ne pas avoir une mentalité d’aigri, de craindre que les jeunes me piquent ma place. Après, moi je n’ai plus grand-chose à prouver : ma carrière elle faite, c’est du bonus ce que je vis depuis quelques années. Je ne suis pas aigri.

Aujourd’hui, tu es identifié comme le coureur français le plus marquant des 15 dernières années. Comment gères-tu cette notoriété dans le quotidien ?

J’ai appris à vivre avec, ça s’apprend sur le long terme. C’est vrai qu’en 2004, quand ça m’est tombé dessus, c’était un peu compliqué. S’il y a une fois dans ma carrière où je me suis pris au sérieux, c’était peut-être à ce moment-là…

Comment s’est traduit cet « embryon de grosse tête » ?

Je m’en suis rendu compte après coup. Je croyais que ça avait de la gueule de gagner un peu de sous et d’être reconnu… mais après tu te rends compte que tu n’as pas plus de mérite que quelqu’un qui va se lever à 4 heures du mat pour aller bosser à l’usine. Ça n’a donc pas duré longtemps, et ça m’a servi pour la suite. Après, la notoriété, tu apprends à vivre avec, comme ta famille. Et puis faut quand même préciser que je ne suis pas non plus Zidane ! Du moment que je peux me balader avec ma femme et mes enfants, ça va, je peux bien m’arrêter pour une photo ou un autographe pour un gamin.

La paternité, c’est un truc qui t’a fait changer ?

Forcément, comme tout le monde, sportif ou non. On se regarde moins le nombril, c’est normal.

Est-ce que ça t’a fait changer dans le risque que tu as envie de prendre sur le vélo ?

(Il réfléchit) Pas vraiment. Lorsque j’ai eu mes deux enfants, c’est à la période où j’écrabouillais le plus les pédales, et où j’ai pris parfois énormément de risques. C’est vrai que j’ai eu la réputation, pendant de nombreuses années, de ne pas beaucoup tomber. Ce qui était vrai – est-ce que j’étais plus vigilant ou plus chanceux, je ne sais pas. Je suis passé au travers des pépins, mais en 2013 et 2014 j’ai connu plusieurs chutes. C’est plus ça qui m’a freiné.

L’histoire de 2016, pour cette équipe ça va être quoi ?

On est en année 1. On a choisi d’orienter l’équipe autour de Bryan, ça change, et ça nous va bien. Il y a un nouvel élan, les victoires de début de saison ont fait super plaisir à tout le monde. La saison sera longue, je suis convaincu que nous allons faire une belle saison qui lancera l’équipe sur un beau cycle, avec le Coq, des anciens, et de belles révélations chez les tout jeunes. On a ce qu’il faut en magasin.

Si on limite les jeunes aux quatre Vendée U, tu en vois un faire un coup ?

La façon de courir n’est pas la même en amateurs et en pros, ils doivent avant tout apprendre. Je me prononcerai dans quelques mois !

Qu’est-ce qui serait de nature à faire continuer Voeckler. Le plaisir ?

Oui… il y a plusieurs paramètres.

Alors qu’est-ce qui ferait arrêter Voeckler ?

Que je ne me sente plus à même d’être acteur en course. (Il hésite) Mais c’est un sujet sur lequel je n’aime pas beaucoup m’étendre, ce sont des réflexions personnelles et familiales. Donc j’ai pris le parti de ne pas trop communiquer là-dessus.

Une question pour finir : parle-moi de Jean-René !

Ouch ! On n’a pas assez de temps, là ! (Rires) Non, Jean-René c’est un manager unique, il n’y en a pas deux dans son genre dans le monde pro. Il a beaucoup de qualités, il est très proche des coureurs, il a un gros cœur. Forcément, pour un manager, parfois ce n’est pas facile, car il doit aussi tenir son rôle de patron, et Jean-René est un mec qui n’aime pas faire de la peine. Oui, c’est un patron qui a du cœur. Ce qui est sûr, c’est que je suis dans sa structure depuis 1999 et qu’il y a eu surtout des bons moments.

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